Profiter des conversations difficiles :

Une question de sécurité et de respect

(2e partie)

 

Bruno Fortin, psychologue

 

 

Certaines situations sont difficiles à vivre.  Même décrivant les faits, en les mettant en contexte et en exprimant une demande de changement nuancée, nous risquons d’être submergé par les émotions et de perdre nos moyens. 

 

§  Vous devez congédier un membre du personnel, un vieil ami, qui est devenu incapable de faire son travail.

 

§  Vous avez entendu un de vos collègues dire à un autre que vous êtes paresseux, négligeant.  Alors que vous préparez à passer la journée à coté de lui, vous n’êtes pas certain de pouvoir passer la journée sans une confrontation.

 

§  Le travail que vous faites vous prend deux fois plus de temps que prévu.  Vous ne voulez pas bousculer le résidant dont vous vous occuper mais vous ne pouvez pas rester plus longtemps.

 

 

Maîtriser les histoires que vous vous racontez

 

Le jugement que nous portons sur nos perceptions (bon/mauvais, juste/injuste, gentil/égoïste) nous amène vers l’émotion, qui nous pousse à l’action.

 

 

Pour reprendre le contrôle sur vos actions, ralentissez et prenez en charge ce chemin.  Remarquez votre comportement.  Entrez en contact avec vos sentiments.  Analysez les histoires que vous vous raconter.  Retournez aux faits. 

 

Faites attentions aux histoires nuisibles que l’on peut se raconter.  Il y a par exemple l’histoire de la Victime (Ce n’est pas ma faute!), celle du Vilain (C’est ta faute.) ou celle de l’impuissance (Il n’y avait rien d’autre à faire!).  Ces histoires servent à sauver la face lorsqu’on a honte

 

 

L’auto justification n’est pas ce que nous voulons vraiment.

 

 

Partagez le reste de l’histoire

 

Racontez une histoire utile, qui suscite les émotions amenant à une action saine.  Qu’est-ce qui transforme une «histoire pour sauver la face» en histoire utile?  C’est le reste de l’histoire.  Transformez les victimes en acteur, les vilains en humains et les impuissants en personne capable de faire ce qu’il faut. 

 

 

Vous avez à partager des opinions délicates, peu attrayantes ou controversées.  Vous voulez le faire tout en permettant à votre interlocuteur de se sentir en sécurité et respecté.  Vous savez qu’il vaut mieux dire la bonne chose aux bonnes personnes, avec humilité et diplomatie, en sachant que vous ne détenez pas la vérité absolu et que vous avez avantage à comprendre le point de vue de l’autre.  Plus vous poussez énergiquement (La vérité, c’est que… Tout le monde… C’est clair que…), plus les gens résistent.  Il vaut mieux conserver ses valeurs mais adoucir son approche.  Que faire?

 

  1. Partager les faits.
  2. Raconter votre histoire (ce que vous vous dites, le sens que vous donnez à tout cela, vos sentiments)
  3. Demander à l’autre de partager avec vous son histoire (son chemin, son explication)
  4. Exprimez-vous sous forme d’hypothèses plutôt que des certitudes (Peut-être ignorez-vous que… Selon moi…  Je commence à me demander si…)
  5. Exprimer vigoureusement votre désir d’obtenir de l’information supplémentaire pour mieux comprendre ce qui se passe (et vous sentir différemment). (Est-ce que c’est cela qui se passe?  Avez-vous une autre explication que je n’ai pas comprise jusqu’ici? J’aimerais entendre un autre point de vue.)

 

Le but n’est pas de persuader l’autre que nous avons raison.  Il ne s’agit pas de «gagner».  Nous voulons surtout être compris.  Nous essayons d’aider les autres à voir comment une personne raisonnable, rationnelle et décente peut en arriver à construire l’histoire que nous nous racontons à ce sujet.


 

En demandant aux autres de partager leur point de vue, vous faites preuve d’humilité et de respect.  Soyez ouvert à l’apprentissage.  Encouragez les autres à exprimez les faits, leur histoire et leurs sentiments.  Vous souhaitez qu’ils vous aident à voir comment une personne raisonnable, rationnelle et décente peut en arriver à construire une histoire différente de la vôtre, leur histoire. 

 

 

La curiosité, l’exploration et la complexité

 

Face aux conversations difficiles, Heen et ses collaborateurs (2008) nous invite à aller au-delà de la recherche d’un coupable.  Qui a raison?  Qui a tort?  Ces questions mènent à un cul de sac.  C’est une question subjective de perceptions, d’interprétations et de jugements de valeurs.  Cela dépend de l’importance que prend la situation pour chacun.  Il vaut mieux s’intéresser à comprendre l’autre, ne serait-ce que parce qu’argumenter sans comprendre n’est pas efficace.  Comprendre ne signifie pas nécessairement être d’accord. 

 

Les conversations sont devenues difficiles souvent dans le contexte d’un procès d’intentions.  Cette personne agit-elle ainsi pour me blesser ou pour comprendre ce qui se passé?  Veut-elle me contrôler ou m’aider?  Face à l’ambiguïté, nous assumons que l’autre a de mauvaises intentions,  nous nous sentons victimes et justifiés d’attaquer...  La spirale de la violence se déclenche. 

 

Nous ignorons souvent l’impact de nos propres comportements.  Ces auteurs nous invitent à reconnaître que nos propres intentions sont souvent mixtes et complexes.  Comme celles de tous les êtres humains.  Dans ce contexte, rechercher un coupable mène à des désaccords, à des dénis et à peu d’apprentissages.  Il est plus rentable de penser en terme de contributions plus ou moins volontaires de chacun, parfois par des silences, de l’évitement, par la fuite qui rend inaccessible ou par une communication ambiguë.  Plutôt que de rechercher un coupable, demandons-nous ensemble ce qui nous a empêchés de voir venir cette situation, comment en sortir et comment empêcher que le problème se produise à nouveau.

 

Que faire avec ses émotions?  Elles font partie intégrante du conflit.  Les auteurs suggèrent de les exprimer sans blâme avant la résolution de problème. Trop puissantes et enfermées, elles contaminent la communication et rendent difficile l’écoute.  Attention de ne pas idéaliser notre monde émotionnel.  Nous pouvons identifier nos émotions, les «négocier» avec nous-mêmes pour s’assurer que nous ne les avons pas inutilement amplifiées puis les partager avec la bonne personne à la bonne intensité. 

 

Chaque conversation difficile comprend trois conversations :

 

1)    Une conversation sur ce qui s’est produit.  Il y a un désaccord sur ce qui s’est produit ou sur ce qui devrait se produire.  Qui a fait quoi?  Qui a dit quoi?  Qui a raison, qui voulait dire quoi, qui est à blâmer? 

 

2)    Une conversation sur les sentiments.  Est-ce que mes sentiments sont valides?  Appropriés?  Est-ce que je dois les valider ou les nier?  Les mettre sur la table ou les laisser à la porte?  Et si mon interlocuteur était fâché ou blessé? 

 

3)    Une conversation sur notre identité.  Il s’agit de la conversation que nous avons avec nous-mêmes au sujet de ce que la situation signifie pour nous.  Suis-je compétent ou incompétent?  Suis-je une bonne ou une mauvaise personne?  Suis-je digne ou indigne d’être aimé?  Si je ne suis plus le héros, les gens me verront-ils comme le vilain? Quel sera l’impact de ce qui se passe sur l’image que j’ai de moi-même, sur mon estime de soi, sur mon avenir et sur mon bien-être?  Les réponses à ces questions déterminent en grande partie si nous nous sentons en équilibre ou anxieux.

 

Nous ne pouvons changer tout cela.  Mais nous pouvons changer notre façon de réagir.  Et nous pouvons éviter ce qui est inefficace : prendre pour acquis que l’on sait ce qu’on ignore, éviter de cacher ou de laisser exploser nos sentiments, et éviter de faire comme si ce qui se passe n’avait aucune importance et aucune signification pour nous.

 

Nous avons tendance à aborder les conversations difficiles pour prouver que notre point de vue est le bon, pour leur donner notre avis, pour les amener à faire ou à être ce que nous désirons.  En d’autres mots, nous avons un message à livrer.

 

Cela change lorsque l’on apprécie la complexité des perceptions et des intentions impliquées, la réalité d’une contribution conjointe au problème, le rôle central des sentiments, et la signification que la situation prend pour l’estime de soi et l’identité de chacun. 

 

Il ne s’agit plus de livrer un message.  Vous avez des informations à partager et des questions à demander.

 

Vous souhaitez comprendre ce qui s’est produit du point de vue de l'autre, expliquer votre point de vue, partager et comprendre les sentiments et travailler ensemble pour découvrir une façon de résoudre le problème.  En faisant cela, vous avez plus de chance que votre interlocuteur soit ouvert à la persuasion, et que vous puissiez apprendre quelque chose qui changera votre compréhension du problème.

 

Complexifiez votre image de vous-mêmes.  Personne n’est toujours quelque chose. 

 

 

Ne tentez de contrôler que vous-mêmes.  Laissez aux autres de l’espace pour réagir à leur façon.  Montrez-leur que vous voyez leur sentiment, qu’ils font du sens et qu’ils sont légitimes.

 

Changez vos attitudes.  Passez de la certitude à la curiosité, du débat à l’exploration, de la simplicité trompeuse à la complexité respectueuse et de l’exclusion (ou) à la coexistence (et).

 

En demandant aux autres de partager leur point de vue, vous faites preuve d’humilité et de respect.  Soyez ouvert à l’apprentissage.  Encouragez les autres à exprimez les faits, leur histoire et leurs sentiments.  Vous souhaitez qu’ils vous aident à voir comment une personne raisonnable, rationnelle et décente peut en arriver à construire une histoire différente de la vôtre, leur histoire. 

 

 

Références

 

Beaudry, M. et Boisvert, J.-M. (2005).  S'affirmer et communiquer, Éditions de l’l'Homme, 328 pages.

Heen, Sheila, Patton, Bruce et Stone, Douglas. (2008).  Comment mener les conversations difficiles.  Paris : Éditions du Seuil.  270 pages. 

Patterson, Kerry, Grenny, Joseph, McMillan, Ron et Switzler, Al (2002).  Crucial conversations : Tools for talking when stakes are high.  New York: McGraw-Hill, 236 pages.

 


 

 

 

 

 

 


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Psychologue en milieu hospitalier depuis près de 30 ans, Bruno Fortin s'intéresse particulièrement aux stratégies d'adaptation face aux situations stressantes de la vie. Il a une vaste expérience d'enseignant et d'animateur d'ateliers. Il est l'auteur et le coauteur de nombreux ouvrages dont Intervenir en santé mentale (réédité en 2006 dans une version revue et augmentée aux éditions Fides), La gestion du stress au travail, La gestion des émotions, Se motiver et convaincre et le tout dernier Vivre avec humour (aux éditions CPF.).




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